Sur l’élection de Nicolas Sarkozy (p. 16) :
Si Sarkozy existe en tant que phénomène social et historique, malgré sa vacuité, sa violence et sa vulgarité, nous devons admettre que l’homme n’est pas pas parvenu à atteindre le sommet de l’Etat malgré ses déficiences intellectuelles et morales, mais grâce à elles. C’est sa négativité qui a séduit. Respect des forts, mépris des faibles, amour de l’argent, désir d’inégalité, besoin d’agression, désignation de boucs émissaires dans les banlieues, dans les pays musulmans ou en Afrique noire, vertige narcissique, mise en scène publique de la vie affective et, implicitement, sexuelle : toutes ces dérives travaillent l’ensemble de la société française; elles ne représentent pas la totalité de la vie sociale mais sa face noire, elles manifestent son état de crise et d’angoisse.
Sur l’effondrement de la religion en Occident (p. 33) :
L’identification du fonds religieux de la crise nous permet d’éclairer certains aspects du malaise actuel, et en particulier la difficulté que peut avoir une société à vivre sans croyance religieuse. L’athéisme a triomphé. Il est bien entendu synonyme de liberté. Sa justification logique est simple et solide : le monde est, il n’y a rien d’autre qui soit perceptible et l’inexistence de Dieu n’a même pas à être prouvée. (…)
Le saut dans l’irrationnel de la foi avait, à la fin de l’Empire romain, permis la construction d’un système explicatif et moral stable et rassurant. Le christianisme avait alors réglé, sur le plan psychologique, la question de la mort, cette dimension incompréhensible de la condition humaine.
L’abandon de la foi émancipe certes l’homme d’un ramassis de mythes démontrables indémontrables, mais il le fait atterrir dans le non-sens de sa propre vie. Tant qu’il y a encore des croyances à dénoncer, des croyants à libérer, l’existence a encore un sens, métaphysique. Mais la disparition du dernier groupe solidement organisé de croyants donne le signal du mal-être pour les vainqueurs, qui, libérés de tout, ne peuvent que constater qu’ils ne sont rien, rien qui ait un sens du moins. La mort de l’Eglise réactive la question de la mort de l’individu.
Au-delà de l’interrogation métaphysique de base, toutes les constructions idéologiques et politiques ayant pour fondement théorique l’inexistence du Ciel sont ébranlées. La disparition du paradis, de l’enfer et du purgatoire dévalorise bizarrement tous les paradis terrestres, qu’ils soient grandioses, de type stalinien, ou d’échelle plus modeste, républicain. Alors commence la quête désespérée du sens qui, banalement, va se fixer sur la recherche de sensations extrêmes dans des domaines historiquement répertoriées : argent, sexualité, violence – tout ce que la religion contrôlait.
Sur le parti socialiste (p. 88) :
Le cas du Parti socialiste, étudié par Rémi Lefebvre et Frédéric Sawicki dans La Société des socialistes est exemplaire de l’effet désintégrateur produit par la nouvelle stratification éducative du pays. Le découpage du Parti en niveaux culturels superposés l’a conduit à éliminer en son sein la représentation populaire et à se transformer en parti d’élus, largement décroché de la structure sociale globale. Dans ce livre d’une qualité exceptionnelle, on trouve une citation d’une cruauté involontaire non moins exceptionnelle : voici comment une militante du PS lilloise, cadre supérieur à France Télécom mais au cœur de l’ancienne région ouvrière socialiste, décrit sa section:
Ici la distinction classique c’est de dire qu’il y a d’un côte 1es intellos, un peu bourgeois et de l’autre les populaires. C’est vrai d’un militant à l’autre et surtout d’une section à l’autre. Moi je pense que c’est un peu caricatural. En même temps, chez nous, c’est la section des intellos, des cadres, des profs, on ne peut pas le nier. En fait, moi, 1es militants populaires, je n’en connais que le peu qu’il y en a dans ma section. Mais quand je 1es vois 1’œuvre, j’imagine comment ça doit être ailleurs. .. Vous en avez trois ou quatre, très gentil1es, disponibles, toujours là… Ce sont un peu les petites mains de la seconde mais est-ce que ce sont vraiment des mi1itantes ? Quand il s’agit de faire la claque, de dire amen, de faire des sandwichs, de décapsu1er des bouteilles, vous pouvez compter sur elles, mais dans le débat, quand s’agit de réfléchir, il y a plus personne… d’accord elles font du terrain, elles sont là, mais le terrain n’est pas une fin en soi, il faut des idées, avoir quelque chose à dire… pour moi le militant c’est celui qui réfléchit, qui parle, écrit, discute, donne son avis, fait avancer les idées, ce n’est pas le décapsuleur de bouteilles…
Le livre, dont j’ai déjà parlé plus tôt, traite de la fragmentation de la société française, qui met à mal la tradition égalitaire de notre pays. Elle est due selon lui à la nouvelle stratification de la population population (un tiers d’éduqués supérieurs détachés du reste de la population, et une élite d’1% complètement déconnectée de la réalité), à l’implosion des idéologies religieuses et politiques (communistes, gaullistes…) et à au narcissisme
) grandissant de chacun.
On entend les politiques brayer dès que la Marseillaise ou le drapeau bleu-blanc-rouge, symboles qui n’ont que de sens que ce chacun leur donne, sont attaqués. Mais qui pense à rappeler que la devise de notre pays, Liberté, Égalité, Fraternité
, qui elle a une signification très concrète, est bafouée tous les jours ? Que notre société grignote peu à peu notre liberté et que notre président a été élu sur un programme célébrant l’inégalité des hommes et rejetant toute idée de fraternité ?