(…) Le sommeil a bon dos, où naissent les songes, et les cauchemars. Mais on ne se réveille pas dans le pire, stupeur, au saut du lit : le pire s’est installé, insidieux, dans le paysage, banalisé par l’apathie ou l’incrédulité des uns, la bénédiction des autres.
Des gendarmes brutaux, grossiers, débarquent impunément avec leurs chiens dans les classes d’un collège du Gers, pour une fouille musclée ; le proviseur entérine, bonasse. Et le ministre de l’Education, qu’en dit-il ? Que dit-il de l’enlèvement d’enfants dans une école de Grenoble, d’eux et de leur famille expulsés en vingt-quatre heures, après combien d’autres ? Qui tient la comptabilité de ces exactions ordinaires ?
Un journaliste est interpellé chez lui, insulté, menotté, fouillé au corps, pour une suspicion de diffamation, qui reste encore à démontrer en justice… Qu’en dit la Garde des Sceaux ? Elle approuve (mutine bague Cartier au doigt, n’en déplaise au Figaro).
Nos enfants, nos journalistes, ce sont encore catégories sensibles à l’opinion.
Celle-ci s’émeut-elle ? Mollement. Elle somnole.
Mais les réfugiés de Sangatte, chassés comme bêtes, affamés dans les bois ; les miséreux du bois de Vincennes menacés de « ratissage », les gueux de nos trottoirs au vent d’hiver ? Les sans-papiers raflés, entassés dans des lieux de non-droit, décharges d’une société qui détourne le regard ignoble de son indifférence ? Et la masse des anonymes, traités mêmement comme rebut par une administration servile ? Au secours, Hugo !
Il y a de jeunes marginaux qualifiés par la ministre de l’Intérieur d’« ultra gauche » – spectre opportun des bonnes vieilles terreurs –, jusqu’ici, pure pétition communicationnelle… Sa police veille, arme à la hanche, elle arpente, virile, les couloirs du métro, des gares. Sommes-nous en Etat de siège ? A quand l’armée en ville ? (…)
Continuerons-nous à dormir ? Ou à piquer la marionnette de banderilles de Noël ?
Tribune d’Anne-Marie Garat parue dans Telerama.
Un cri d’indignation, qui comme les autres va se perdre dans l’inertie de notre société. Quels moyens existent pour arrêter le cirque, alors que le silence de l’opposition politique de notre pays, absorbée à d’autres tâches, est tellement assourdissant ?
Mise à jour. Suite à la délirante descente de la police dans le collège du Gers, la procureure de la République, Chantal Firmigier-Michel, déclare dans la Dépêche du Midi (à lire dans Libé par exemple) :
Les élèves ont peur de ces contrôles : ça crée de la bonne insécurité, satisfaisante à terme en matière de prévention.
C’est marrant, je pensais que le rôle des institutions d’État était justement d’apporter la sécurité aux membres d’une société, qui serait naturellement insécuritaire. Une gamine de 13 ans à qui des policiers parlent ainsi détestera la police pour le reste de ces jours, tout comme une bonne partie de ces camarades du collège. Tant de bêtise et d’irresponsabilité me font vomir.