Je vous imagine déjà tourner les yeux en vous disant que je suis pénible avec mes histoires informatiques, mais ce dont je vais parler est important et impacte tout le monde.
Depuis 15 ans et la sortie de la première version de Microsoft Office (Word, Excel, Powerpoint, etc.), les documents bureautiques que nous utilisons tous les jours sont aux formats .doc (pour le texte), .xls (pour les tableurs), .ppt (pour les présentations). Ces documents n’étaient lisibles qu’avec les logiciels Microsoft, c’était comme ça et personne ne cherchait à savoir si c’était bien ou mal. De toute façon il n’y avait pas d’alternative.
Et puis avec les années, certains se sont fait la remarque que ce monopole d’une entreprise privée sur l’essentiel des documents produits dans le monde posait problème. Deux problèmes en particulier :
- Le pérennité des documents
- Microsoft n’est pas une entreprise éternelle. Dans 20 ans, qui sait ce que sera devenu cette entreprise ? (1)
- Qui n’a jamais rencontré un problème de compatibilité ? Un document créé sous Word 97 est paraît il problématique à lire sur la dernière version d’Office (2007). Or des millions de documents ont été créé au format Word 97 : peut-on accepter qu’ils ne soient plus lisibles à l’avenir, parce que Microsoft ne veut/peut plus assurer la lecture des documents vieux de plus de 10 ans (on parle de compatibilité ascendante) sur ces nouveaux logiciels ?
- L’indépendance
- Les formats doc, xls, ppt (etc.) sont dits fermés : c’est à dire qu’ils appartiennent à Microsoft, et que Microsoft refuse d’en publier la conception (le cryptage quoi). Par conséquent seuls les logiciels Microsoft sont capables de lire, créer et modifier ces documents. Comme tout le monde utilise Office pour produire ses documents, tout le monde utilise ces formats. Et comme tout le monde utilise ces formats, tout le monde doit utiliser Office pour lire ces documents. Le cercle vicieux du monopole est en place. Conséquence : Microsoft a pu vendre ses logiciels à tous les coups, qu’ils soient bons ou pas, au prix qu’ils le voulaient… Ce qui est tolérable par un particulier (d’autant plus qu’il n’a jamais été bien difficile de pirater Office) l’est difficilement par une administration, qui achète ses licences par dizaine de milliers…
Cette situation était sur le point de toucher à sa fin. Pourquoi ?
Un groupe de mecs un peu fêlés, développeurs du logiciel libre Open Office sont parvenus ces dernières années à percer, en partie, le cryptage de ces documents. Les .doc et autres .xls ont commencé à être lisibles sur autre chose que Microsoft Office, et de façon gratuite. Prise de conscience. D’autant plus qu’Open Office, soutenu par de gros acteurs du marché (Google, IBM, Sun) propose en parallèle ses propres formats de fichiers (l’Open Document Format, ou ODF : .odt pour le texte, .odc pour le tableur, .odp pour les présentations, etc.), équivalents aux formats Microsoft, mais qui ont entre autres avantages d’être libres : ils n’appartiennent à personne et leur conception est publique. Avec l’avènement de l’Open Document, on obtiendrait la même situation pour pour les images : une image .jpg est lisible sur pleins de logiciels différents, qu’ils soient gratuits ou payants.
Et ça tombe bien : en 2006, l’Organisation internationale de normalisation (plus connue sous le nom d’ISO) valide le format Open Document comme standard pour les applications de bureau. Rapidement et plutôt massivement, les administrations se mettent donc à adopter l’Open Document, et par là le logiciel libre OpenOffice, qui gère parfaitement ce format et a l’avantage d’être gratuit. Or si les administrations s’y mettent, cela risque de faire tâche d’huile et se répandre rapidement au grand public.
Microsoft doit réagir, et sort rapidement son nouveau format de fichiers bureautiques, assez semblable à l’ODF : l’Open XML (ou OOXML). C’est le format utilisé par Office 2007 (c’est ça les fichiers .docx, .xlsx, .pptx, que l’on commence à voir apparaître et qui sont illisibles par les versions précédentes d’Office). Contrairement à son prédécesseur, ce format est censé être ouvert, c’est à dire que les autres suites bureautiques (Open Office, Star Office, etc.) pourront l’utiliser. Seulement cela ne suffit pas pour reconquérir les administrations, qui réclament une reconnaissance internationale, et Microsoft doit faire valider son format comme un standard par l’ISO.
Problème : le l’ISO ne valide logiquement qu’un standard par technologie (sinon ce n’est plus un standard…). En septembre dernier, l’ISO rembarre assez logiquement la première tentative de normalisation de l’Open XML. Microsoft ne lâche pas l’affaire, fait quelques concessions, pas mal de promesses, et énormément de lobbying. Un deuxième vote a eu lieu il y a quelques jours, et la normalisation de l’Open XML… a été votée. Il va donc y avoir à l’avenir deux standards, pas tellement compatibles entre eux, et l’inertie contre le changement étant ce qu’elle est, il y a gros à parier que les administrations adoptent le standard Microsoft plutôt que le standard libre. Les gens continueront à payer 300€ pour se payer la dernière version d’Office, poule aux œufs d’or de Microsoft, ou plus sûrement à installer des versions gravées ici ou là… Une belle occasion de manquée.
Polémique dans pas mal de pays (les français, qui étaient contre l’Open XML, se sont abstenus au dernier moment ; les norvégiens, dont les experts étaient contre, ont voté pour ; etc.), la commission européenne a ouvert une enquête mais bon… il serait étonnant que cela change grand chose, Microsoft a gagné son pari et va conserver la main-mise sur les fichiers bureautiques. Pour la petite histoire, sachez qu’une pétition a été lancée. J’ai envie de vous dire d’aller la signer, mais pour ce que ça va changer…
…
(1) Au début du siècle dernier, le gigantesque groupe américain Standard Oil de John Rockefeller, qui profitait de sa situation de monopole sur le pétrole et les transports, fut bien démantelé par une loi anti-trust).
(2) L’illustration vient de . Merci google images.